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Publié le 17/01/2022 Télécharger la version pdf



La gestion des cultures industrielles en ACS

   

​Betteraves sucrières, pommes de terre, lin textile voici le début d’une liste non exhaustive de cultures industrielles particulièrement cultivées dans le nord de la France. Ces cultures sont une opportunité économique considérable voire indispensable à l’équilibre financier des exploitations agricoles mais aussi des industries de ces régions. Quel que soit la technique, les problématiques de fertilité des sols, d’érosion sur des limons battants et profonds, de tassement en cas de récolte tardive ou dans de mauvaises conditions (poids des engins, multiplication des passages…) sont souvent pointées du doigt pour montrer le manque de durabilité de ces systèmes.

Alors ces cultures, pour lesquelles une perturbation du sol est indispensable pour les plantations (pommes de terre), pour les récoltes (betteraves) ou pour le semis d’un blé qui suivrait, peuvent-elles être intégrées dans un système en Agriculture de Conservation des Sols ?



Note du comité technique

Cet Instant technique a comme thème les cultures industrielles.  Il sera donc évoqué des systèmes dans lesquels le travail du sol est aujourd’hui indispensable soit pour la qualité du semis soit pour la récolte.  Nous avons décidé de parler de ce thème car, aujourd’hui, c’est une réalité de nombreuses fermes du Nord de Paris voire d’autres secteurs de France.  Malgré les nombreuses recherches menées par les agriculteurs et par certains de leurs partenaires techniques, il n’existe pas d’alternative crédible à ce travail du sol.  Ne pas en parler serait nier la réalité vécue par ces adhérents. C’est d’ailleurs sur ce constat que le label Au Cœur des Sols porté par l’APAD accorde en présence de cultures industrielles une dérogation à hauteur d’un maximum de 30% de la SAU qui peut être travaillée. Nous avons validé l’idée de ce thème en insistant sur les réalités techniques des agriculteurs et les perspectives pour imaginer des solutions moins impactantes pour le sol : ces agriculteurs qui donnent ici leurs témoignages sont conscients de tous les intérêts de l’ACS comme étant un système durable.








Levée de lin SD dans des résidus de paille chez Joseph Bellet, agriculteur en Seine Maritime


En restant stricto sensu dans la définition de l’ACS préconisée par la FAO et validée par l’APAD, ce n’est effectivement pas de l’ACS. Cependant, des agriculteurs adhérents de l’APAD testent des itinéraires techniques et des pratiques pour intégrer une couverture permanente des sols. Dans leurs cas, les couverts végétaux restent la clé de voute des systèmes intégrant des cultures industrielles. Ils travaillent également à limiter les perturbations du sol en termes de nombre de passages, de type d’outil, de profondeur et d’intensité pour l’implantation de ces cultures. Ensuite, ces cultures, le plus souvent de printemps, sont un réel atout pour la diversification de la rotation : cela peut potentiellement casser le cycle des maladies, des adventices et des insectes.

Alors quelles sont les clés de réussite d’un système qui intègre des cultures industrielles ?


Dans cet article, nous allons principalement parler des pommes de terre, betteraves sucrières et lin textile qui couvrent les plus grandes surfaces chez les adhérents APAD de Normandie et des Hauts de France.

La pomme de terre demande un travail du sol conséquent pour sa plantation : des outils animés sont le plus souvent utilisés pour ameublir la profondeur nécessaire à la formation des buttes. Ces dernières sont indispensable à la multiplication des tubercules et pour assurer leur développement à l’abri de la lumière. Le recours aux fraises, tamiseuses et autres herses rotatives reste la norme pour les producteurs de pommes de terre en Agriculture de Conservation des Sols. Certaines exceptions existent bien, en se limitant à un passage de chisel, mais une valorisation plus conséquente de la production est alors de rigueur. Et on le sait, les ventes en direct aux consommateurs demandent une logistique tout autre.

Il est possible dans les jardins de cultiver les pommes de terre « à plat » en les recouvrant d’une épaisse couche de paille par exemple. Cependant, pour des questions de coût et de logistique, cette technique ne semble pas envisageable à grande échelle bien qu’elle soit source d’une réflexion intensive dans certains collectifs d’agriculteurs : la technologie nous aidera peut-être à le réaliser dans le futur ?

Pour la betterave, on peut se demander si l’interdiction des néonicotinoïdes est un frein à sa culture ou s’il faut plutôt la voir comme une opportunité d’innovation… En fait, la betterave bénéficie d’un traitement de semences particulièrement efficace dans la lutte contre le puceron vert Myzus persicae vecteur du virus de la jaunisse (pouvant causer de fortes chutes de rendement) : les néonicotinoïdes (NNi). Produits controversés pour leur impact sur la santé des abeilles, il est utilisable sous dérogation jusqu’en 2024 mais les conditions restent très limitantes en particulier en ACS car les espèces notamment à fleurs ne peuvent être semées, couverts comme cultures, jusqu’à 3 ans après la betterave.

L’évolution de cette réglementation, la fin des contrats de certains agriculteurs et les fermetures de sucreries les questionnent sur la pertinence à maintenir des betteraves sucrières dans leurs rotations pour les années à venir.

En misant sur les équilibres biologiques naturels, d’autres agriculteurs ont choisi de mettre en place des essais sans NNi avec plantes compagnes, bandes fleuries ou autres haies diversifiées en partenariat avec leurs sucreries. La recherche est donc en cours…

Quel que soit la culture, vous retrouverez dans les points suivants des éléments qui font sens pour les adhérents du nord de Paris :


Un couvert à ne pas négliger

L’objectif d’un couvert précédent une culture industrielle de printemps : assurer un maximum de biomasse et de diversité des espèces pour maintenir une stabilité à la structure. A chacun sa recette ! Néanmoins, une destruction précoce est souvent à envisager pour ne pas gêner l’implantation de ces cultures parfois fragiles : la betterave et le lin ayant besoin d’un lit de semences très fin et la pomme de terre nécessitant un sol suffisamment meuble pour construire des buttes.


La rotation

Indispensable dans les systèmes en ACS, la rotation est aussi pratiquée avec les cultures industrielles même si rien n’est figé. Chacun teste des évolutions selon l’historique de sa ferme, sa localisation, ses opportunités économiques, ses connaissances techniques, le potentiel de ses terres… Certains sont adeptes d’alterner cultures industrielles et céréales, d’autres disent que ce type de rotation a pu les mener à des problématiques de graminées. Il y a aussi ceux qui revendiquent l’enchaînement de 2 cultures industrielles pour, malgré leur impact négatif sur les sols, les reconstruire sur le reste de la rotation. En termes de succession culturale plusieurs agriculteurs ont quand même cité qu’un lin suivi d’une pomme de terre pouvait être un levier intéressant pour la lutte contre les doryphores et la gestion de l’enherbement.


Avant l’implantation : l’adaptation des itinéraires de travail du sol ?

La charrue est le plus souvent éliminée des itinéraires techniques incluant des cultures industrielles en Agriculture de Conservation des Sols. Les efforts sont faits pour diminuer l’intensité et la répétition des passages d’outils mais des défis techniques de taille se dressent devant ceux qui iraient trop loin. Ainsi les semis direct au printemps de lin et de betteraves obtiennent des résultats très aléatoires à cause du manque de réchauffement du sol. Des levées hétérogènes qui peinent à démarrer sont alors observées menant à des rendements faibles et peu satisfaisant pour ces cultures à forte valeur ajoutée. Les ACistes qui s’y sont essayé finissent généralement par trouver un équilibre dans les techniques culturales simplifiées (TCS) pour la préparation du sol.


François Peaucellier, agriculteur dans l’Oise, en ACS depuis 2010














Les betteraves en semis direct, nous avons essayé : la technique était de semer dans un couvert détruit quelques semaines avant le semis et/ou dans un couvert vivant. Nous avons obtenu des résultats corrects mais qui ont fini par dégringoler… 84t, 72t pour finir à 54t la dernière année. Clairement, le sol est trop froid au moment du semis sans préparation correct de la ligne. Avec des années compliquées pour les couverts, le sol est trop compact. Les tipules sont aussi venues s’installer la dernière année… J’ai aussi remarqué que l’engrais dans la ligne n’était pas idéal, je pense que l’acidification leur porte préjudice. Depuis que j’ai arrêté les betteraves en semis direct, je sécurise mon implantation et je peux faire du binage.
En semis direct la betterave n’est vraiment pas adapté, à moins de faire en strip-till, mais cela demande des équipements en plus et souvent coûteux.



Marc Bouquet, agriculteur en Seine Maritime, membre du GIEE Sol en Caux

En 2017, les lins des voisins ont subi des périodes de stress hydriques pendant que j’obtenais les meilleurs résultats de la linerie ! Cette année-là, après un blé avec pailles restituées, j’avais passé un COMPIL type bêches roulantes en surface sur 3 cm pour optimiser le contact terre-graine et étaler les résidus puis je suis passé en double semis au SEMEATO le deuxième passage se faisant en principe au milieu des rangs du premier passage et avec pour chaque passage la moitié de la densité. Cet itinéraire technique a été particulièrement chronophage mais il a payé cette année-là puisqu’en l’absence de travail du sol je n’ai pas asséché mon profil.
Les résultats des années suivantes n’ont plus été les mêmes et les aléas se sont multipliés les 2 dernières années : du vent, des printemps froids, du sec, des altises…

Globalement je pense qu’il faut apprendre à être patient. En 2021, les lins ont mis un mois à lever, ceux qui ont semé tard n’ont pas du tout été pénalisé bien au contraire puisqu’ils ont obtenu des levées plus homogènes qui ont rapidement rattrapé leur retard. Ce que je peux conseiller c’est de s’équiper d’une sonde thermique de cuisine (celle qui sert à vérifier la température à l’intérieur du rôti). En mesurant chaque jour la température à la profondeur de semis à la même heure, une fois le matin, une fois le soir, on observe facilement les variations (qui traduisent également du ressuyage de la parcelle). On sait qu’il faut que le sol soit environ à 10°C et pas moins pour assurer de bonnes conditions à cette petite graine. Ce qui se passe dans les semaines qui suivent, malheureusement on ne le maîtrise pas…

De mon côté, sur la ferme, je repars des bases. Après avoir constaté de grosses problématiques de salissement et d’acidification de certaines parcelles, j’ai fait des apports massifs d’écumes et de marne. Cela va créer des différences dans les historiques de mes parcelles et sans doute être source d’encore beaucoup d’enseignements !



Marc Lefebvre, agriculteur dans le Pas de Calais

Lin d’hiver semé avant les pluies le 22 septembre 2020

Depuis 6 ans que je cultive du lin d’hiver, j’ai subi à deux reprises son gel. Pourtant je le préfère au lin de printemps, il n’est pas sensible aux limaces, aux altises, il passe bien en semis direct, il a des rendements plus stables, il n’est pas trop gourmand en chimie et il fait une bonne tête d’assolement dans des terres plus moyennes. Après des résultats allant du simple au triple en lin de printemps, les insecticides à multiplier à cause des altises et les tipules qui s’y mettent, j’ai choisi d’arrêter.
Mon lin d’hiver arrive souvent après un blé ou une orge de printemps. Je laisse les repousses gérer la structure et je les détruis avant le semis au glyphosate. Je sème au SEMEATO sur lequel j’ai retiré les roues plombeuses qui avaient tendance à trop tasser. Je surdose ma densité de 10 à 15% par rapport aux recommandations et j’apporte phosphore et potasse au semis puis 50-60UN au printemps. Pour la gestion de l’enherbement, il peut m’arriver de repasser au printemps pour les quelques repousses qui restent et les gaillets mais c’est tout. C’est une culture plutôt facile et pour le semis de blé derrière, c’est royal ! Malgré le trafic sur la parcelle on ne marque pas, la portance est là.



A la récolte, attention au tassement

Les ACistes producteurs de cultures industrielles ont bien conscience de leurs impacts sur les sols. Beaucoup disent qu’ils détruisent en une année ce qu’ils ont construit sur plusieurs… Les précautions sont ainsi prises pour éviter les récoltes dans de mauvaises conditions bien que le recours à du matériel en CUMA ou à des ETA complique la tâche. Quand c’est possible les récoltes sont prévues plus précoces pour préserver les sols lors de la récolte mais également pour permettre l’implantation d’une culture suivante dans de bonnes conditions, pour couvrir le sol en hiver. Aussi, la multiplication des passages d’engins et le poids des machines sont limités dans la mesure du possible.







Aymeric Goethals, agriculteur dans le Nord

Nous avons fait le choix d’arrêter les 10ha de betteraves sucrières sur l’exploitation. Malgré le potentiel du sol à produire facilement 100t tous les 7-8 ans, la baisse des prix et l’absence de matériel en propre sur la ferme ont mené à cette décision. C’est aussi une culture qui a un impact non négligeable sur les sols, quand on voit les arracheuses à betteraves intégrales (c’est-à-dire qui disposent d’une grande trémie) dont le poids est à peine supporté par nos routes bitumées, on imagine facilement ce que ça donne sur nos sols ! J’ai remplacé la betterave depuis 3 ans par du colza et du maïs qui sont des cultures simples et qui me permettent plus d’autonomie, également depuis le changement de notre batteuse désormais adaptée à la récolte des maïs. Pour les colzas, nous nous sommes surtout inquiétés des pigeons ; les altises et limaces ne sont  pas une problématique dans notre secteur. J’associe mes colzas à de la lentille et du fenugrec et depuis 3 années de colza je n’ai jamais eu recours à des insecticides. De même, cette diversification de culture m’a également permis d’arrêter les blés sur blés qui coûtent souvent cher pour donner moins de rendement. A voir si les blés de maïs s’en sortiront mieux dans le temps…

Ma rotation type fait suivre : PDT ► Blé ► Colza ou maïs ► Blé

Avant pommes de terre, je prévois toujours un beau couvert, cette année il était composé de 12-14 espèces mais les faibles taux de levée ne m’ont pas permis de rentabiliser mon investissement, je revois donc à la baisse ces chiffres pour me concentrer sur les espèces qui fonctionnent bien. Je passe un rouleau hacheur au moment du ressuyage ou dans l’idéal sur gel en janvier-février car c’est bien plus efficace. J’épands alors un compost de fumier de bovins avant un passage de déchaumeur à disques. La veille de planter, je passe un décompacteur à dents michel et un déchaumeur avant la rotative planteuse.

Dans l’idéal le blé qui suit est semé avec un outil à disques suivi du semoir mais cette année, les conditions ont été beaucoup trop humides et j’ai dû ressortir la charrue à contre cœur. Elle était néanmoins indispensable pour réussir mes blés…

Au niveau enherbement, j’ai eu une parcelle envahi d’armoise. Sans doute due à un tas de fumier posé au mauvais endroit puis épandu sur cette parcelle spécifique. Sinon, ce sont surtout les vivaces que j’observe notamment les chardons.

Concernant mes réflexions sur des potentielles améliorations à venir, je m’interroge beaucoup sur le buttage d’automne avec semis de couvert pour les pommes de terre, j’ai entendu que certains essayaient puis revenaient à des itinéraires techniques plus classiques suite à des déceptions. Je ne doute pas que j’ai encore beaucoup à apprendre !

Fréderic Hennebert, agriculteur dans le Pas de Calais

Sur la ferme,  plants de pommes de terre, oignons, betteraves sucrières, haricots ou encore pois verts sont notamment produits. Pour moi, les clés pour limiter l’impact sur les sols, c’est limiter le nombre de passages et avant tout avoir un beau couvert ! Je sème tout de suite après moisson, en couvert d’hiver, historiquement un mélange de fèverole, phacélie, avoine, auquel j’ai ajouté vesce, tournesol, trèfle, moutarde d’Abyssinie. On a la chance d’avoir de l’eau ici et un semis précoce me permet de produire rapidement beaucoup de biomasse. Je fais le choix de détruire chimiquement à la mi-novembre, à floraison, afin d’éviter au maximum le trafic sur les parcelles en conditions humides. L’objectif est aussi d’obtenir au printemps un couvert sec et en décomposition avancée qui ne gênera pas le passage d’engins de travail du sol, tout en gardant l’aspect drainage/anti-érosion du couvert pendant l’hiver. Quand j’en ai l’opportunité j’apprécie de pouvoir passer un coup de dent sur gel.
 


 
Coup de dents sur gel après destruction chimique précoce du couvert


Pour le semis des betteraves comme pour celui des oignons ou encore des haricots, je passe des dents à 15-20cm (si cela n’a pas pu être fait sur le gel) puis un préparateur de sol à 5cm pour affiner la surface avant le passage des semoirs monograines ou combiné pour haricots. Le semis de pois au combiné s’affranchit du passage de préparateur de sol.

Avant plants de pommes de terre, le couvert est géré de la même manière, puis c’est une fraise avec ameublisseur qui est passée avant la planteuse. Il peut également m’arriver de passer un coup de dent juste devant la fraise pour accélérer le débit de chantier. En règle générale et en particulier pour les préparations de printemps, le travail du sol effectué par le couvert est notable par rapport au sol nu ou avec couvert raté. 

En termes d’impact sur le sol, je pense qu’il est également important d’aborder les conditions de semis de la culture suivante. Chez moi, les cultures industrielles disposent de dates de récolte relativement précoces qui me permettent facilement d’implanter mon blé. Il est semé en 1 passage avec un combiné rotative-semoir attelé sur un ameublisseur Agrisem qui me sert à effacer les traces de passages de tracteur et reprendre un léger tassement s’il y a. En cas de récolte en très mauvaises conditions et/ou tardives, je passe un coup de dents avant le combiné de semis.
 


Semis de blé 2021 en 1 passage derrière pommes de terre

 

Je m’efforce d’intercaler un blé avec pailles broyées tous les 2 ans entre chaque culture industrielle pour laisser « reposer » le sol mais également mieux gérer les désherbages automne/printemps. Le précédent blé permet de semer un couvert derrière qui fera du bon travail pour ma culture de printemps.

Au-delà du coté agronomique du blé entre chaque culture de printemps, son implantation et son désherbage est facile avec un potentiel de rendement souvent élevé à la clef, pourtant je peux constater facilement autour de moi des parcelles avec 4-5 cultures industrielles de printemps d’affilée et dont les pailles précédentes ou suivantes sont systématiquement exportées.

Je ne cultive pas de lin sur l’exploitation mais ayant travaillé auprès de liniculteurs du Pays de Caux avec de très bons résultats en semis direct (des lins qui ont notamment tendance à verser), je ne ferme pas la porte à cette culture qui, aussi pointue et complexe soit-elle, est à mes yeux possible dans un système de semis direct avec une bonne gestion du couvert.

Guillaume Bruniaux, agriculteur dans la Somme, en ACS depuis 5 ans

Semis de betteraves 2021

Les réflexions sur la limitation du travail du sol existent depuis longtemps sur l’exploitation puisque nous avons connu une bonne quinzaine d’années en TCS avant d’explorer les possibilités de l’ACS. L’exploitation en polyculture-élevage porcin cultive sur des limons, des argiles à silex et des cranettes  (sols limono-sableux développés sur des calcaires durs) et nous devons nous adapter à chaque particularité du type de sol.
Notre rotation classique fait suivre : blé ► escourgeon ► colza ► blé ► betteraves ou pois ou lin (suivant les possibilités du sol). 

Pour moi, la première clé de réussite avant culture industrielles, c’est la qualité de la structure qui s’observe bien en amont de l’implantation, juste après la moisson. Un décompactage dans le couvert peut parfois être intéressant pour assurer le maintien de la structure.


Gestion de la culture de la betterave

Pour les betteraves, je suis d’abord passé par un stade dans lequel le décompactage en août était systématique. Suivait alors, un gros couvert détruit au 15 novembre par un déchaumeur à disques indépendants (DDI) travaillant à 8cm de profondeur qui permettait de mettre le couvert au contact du sol et menait ainsi à une décomposition et une restitution pour la betterave qui suivait. Le travail superficiel avait tendance à provoquer des enracinements hétérogènes, des betteraves qui poussaient très en surface et posaient problème lors de la récolte car elles étaient coupées par l’arracheuse.
Depuis 2 ans j’ai fait l’acquisition d’un striptill que j’ai d’abord utilisé uniquement au printemps au moment du semis, mais j’ai remarqué que dans les argiles on prenait vraiment le risque de lisser. Cette année pour avancer un peu mes dates de semis et participer à accélérer le réchauffement au printemps, je l’ai passé au 20 septembre dans un couvert biomax d’une dizaine d’espèces déjà en place. En février suivra un passage de chimie avant le semis avec semoir directement accroché au striptill en reprenant les mêmes lignes avec un travail superficiel (5 cm). Le couvert ne sera couché au sol qu’au moment du passage du semoir en mars, je me questionne sur la restitution dont va pouvoir bénéficier la betterave.
Il faut garder en tête que dans les terres argileuses, le travail profond doit être fait à l’automne car au printemps le sol s’assèche trop vite. Le travail du printemps doit avant tout garantir un bon contact terre/graine pour une levée rapide et homogène. Une culture industrielle, ça s’anticipe !
Les essais de semis sans grattouillage de surface ressortent souvent avec une perte de pieds préjudiciable pour le rendement final.
Pour lutter contre les pucerons, on optimise la nutrition des betteraves. Il semblerait que les pucerons soient attirés par des plantes gorgées d’azote donc le fractionnement est notre maître mot. Aussi nous développons les fèveroles comme plantes compagnes (des essais Greenotec nous montrent qu’elles sont intéressantes) ; cette année, elles ont été implantées en interrang lors du passage du striptill au 20 septembre. Elles permettront aussi un apport d’azote organique pour les betteraves.

Pour le couvert précédent la betterave, j’utilisais jusqu’ici le même mélange que sur la ferme.   Cependant,  pour limiter la quantité de glyphosate utilisée au printemps et pour préserver les féveroles en plante compagne, je ne mettrais plus de crucifères.

La gestion de l’enherbement dans les betteraves est améliorée depuis que l’interrang n’est plus travaillé. Cependant en raison de la présence de résidus de couverts en surface, les produits racinaires ont plus de difficultés à atteindre leur cible. Un traitement juste avant les pluies est préférable. Je gagne ainsi un passage de désherbage. Mais il est important de préciser également que la présence de résidus en surface limite les possibilités de désherbage mécanique de type binage.

Le roulage sur gel est une pratique intéressante mais je tiens à émettre un point de vigilance : dans un couvert, la température est toujours un peu plus élevé donc avant de se lancer, il est indispensable de vérifier que le sol est bien gelé sinon on risque de créer un tassement en surface et une asphyxie qui va empêcher un ressuyage correct au printemps.

Autre point de vigilance : il faut savoir que la présence de couvert pendant tout l’hiver favorise les limaces, un passage de sluxx est à prévoir au semis potentiellement en combinaison du semis de leurres (colza, seigle en même temps que les betteraves).

Le blé qui suit la betterave peut être implanté en SD lorsque les arrachages se font très précocement. S’ils sont plus tardifs, un déchaumeur à dents chisel est passé à 15cm avant la rotative-semoir. Dans le cas où les récoltes se feraient dans des conditions plus délicates, je me laisse la possibilité de faire suivre une culture de printemps, c’était la pomme de terre jusqu’ici mais je prévois de l’arrêter pour la remplacer par un maïs en striptill.

Xavier Piot, agriculteur dans l’Oise, président du collectif Sol Avenir 60

Essais pommes de terre et plantes compagnes – Aurore et Xavier Piot



Semis de couvert sur buttes d’été



Si l’assolement historique sur la ferme ne comptait que 3 cultures à savoir la betterave, le blé et la pomme de terre avec des rotations courtes de 2 à 4 ans et ce, depuis plus de 50 ans, c’est un travail considérable qui a été et qui continue d’être mené sur la ferme pour arriver où nous en sommes aujourd’hui. Les pommes de terre ne reviennent désormais que tous les 8 ans, les betteraves tous les 4 ans et nous nous sommes diversifiés avec du lin, du colza, du pois de conserve et de la multiplication de semences de fétuque qui font réellement la différence. 

La rotation type : Betterave ►Pois de conserve ► Blé ► Lin ► Pommes de terre ► Blé ► Betterave ► Colza ou fétuque ► Blé

Nos efforts se concentrent à maintenir nos potentiels de rendement en gardant notre autonomie en tant qu’agriculteur et en maximisant la couverture du sol toute l’année.

Ayant conscience de l’impact des fongicides et insecticides, nous travaillons à leur remplacement progressif par des thés de compost oxygénés, des oligoéléments ou encore des préparations naturelles à base de plantes. J’utilise le tiers de la chimie de mes voisins sur pomme de terre, pour moi c’est un vrai résultat. De même, les fongicides sur céréales ne sont plus systématiques, nous y avons recours seulement les années aux printemps particulièrement humides.


Gestion des couverts et implantation


Les apports organiques se font dans les couverts biomax contenant 10 espèces qui sont implantés juste après la moisson. Ils sont diversifiés pour optimiser les apports de bactéries et champignons : compost, digestats de méthanisation, fientes… Dans l’idéal, ils sont roulés sur gel.


• Avant betteraves, selon le ressuyage de la parcelle, ils sont détruits entre fin février et juste avant le semis avec un déchaumeur à disques suivi d’un outil classique de préparation du sol pour betteraves. Ce process permet un travail superficiel (3-5cm) qui assure le maintien d’une structure de qualité. Le striptill a été envisagé mais les passages de sangliers obligent à un travail de toute la surface et la déstructuration que l’on observe après le passage du striptill ne me satisfait pas.
• Pour les pommes de terre, le buttage se fait l’été précédent la plantation. La destruction du couvert se fait donc par la chimie 3 semaines avant la plantation.

Le semis du blé qui suit une betterave, un lin ou une pomme de terre se fait par un déchaumage à dents quand la structure a été impactée ou à disques suivi d’un combiné de semis. Seuls les blés de colza peuvent être facilement implantés en SD.
Le labour est évité au maximum : avec le bouleversement des horizons, j’ai remarqué que des plantes semées sur labour sont bien plus sensibles aux maladies. Néanmoins, je ne me l’interdit pas si les conditions ne sont vraiment pas favorables à la réussite d’une culture semé avec un travail léger.

Je suis très peu concerné par les problématiques de graminées.  Chez moi, ce sont les chénopodes et les vivaces qui posent question car chardons, liserons et laiterons se multiplient. Nous travaillons depuis quelques années sur l’ensemencement en ferments, cela permet de limiter l’impact du travail du sol et nous pensons qu’un impact positif sur la gestion de l’enherbement est possible.

Grâce à ce système, nous observons une diminution considérable de l’érosion, de la chimie que nous utilisons, des consommations de fuel et la biodiversité est bien là !



Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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comite.technique.apad@gmail.com