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Publié le 21/02/2022 Télécharger la version pdf



Les matières organiques en système ACS

   

Au-delà du stockage du carbone qui fait de la matière organique la principale actualité du moment, il faut surtout garder à l’esprit ses intérêts agronomiques multiples et systémiques.

En Agriculture de Conservation des Sols, la Matière Organique du sol pourrait être considérée comme le 4ème pilier de l’ACS, un pilier garant du bon fonctionnement du système Sol/Plante, à ne surtout pas négliger pour amorcer sa transition et pour maintenir équilibré son système dans la durée.



​Cet instant technique a pour objectif : 

  • de se rappeler pourquoi la MO, et en particulier la MO de surface, doit être au cœur du raisonnement agronomique
  • d’être autonome dans le choix des apports pour équilibrer et enrichir le sol
  • de ne pas oublier que nous travaillons dans un système vivant…et qu’il ne suffit pas de seulement stocker de la MO pour augmenter la fertilité. Des situations restent complexes à comprendre et à interpréter. Les témoignages d’agriculteurs et de scientifiques sont là pour nous aider et nous encourager à faire nos propres tests et observations, afin de trouver des recettes adaptées à nos problématiques et nos contextes.

Les matières organiques de surface : un atout pour le bon développement du système Sol & Plante et pour l’environnement

Les Matières Organiques (MO) des sols représentent l'ensemble des constituants organiques de provenance végétale (feuilles, bois, racines des plantes en forêt ou prairie, résidus de culture, fumiers, composts, tourbe, etc.), microbienne ou animale (faune du sol). En fonction de leurs états de transformation, les MO agissent sur de nombreuses propriétés du sol (Cf tableau 1 : Fonctions des différents types de matières organiques). En ACS, les MO s’accumulent sur les premiers centimètres du sol (stratification de la matière organique), lieu de l’implantation et de première croissance des cultures. Ceci est confirmé par les travaux d’Arvalis et de l’INRAE « L’arrêt du labour produit une stratification : la teneur en carbone augmente dans les couches de surface en semis direct (0-5 cm) En effet, les apports de résidus de culture restent concentrés en surface alors que le processus de minéralisation est toujours actif en dessous de 10 cm ». Dans l’Ouest, le projet DYCASOL des APAD Centre Atlantique et Perche, mené depuis 5 ans sur plus de 700 parcelles ainsi que le projet DYCESOL à l’APAD Centre Est sur plus de 130 parcelles montrent aussi un enrichissement en MO de l’horizon (0 – 7 cm) de surface environ supérieur de 1 % à l’horizon de 7 – 20 cm avec, globalement, des taux de MO bien supérieurs aux moyennes régionales (3.8 % en surface et 2.7 en profondeur).
Par leurs bénéfices, elles vont donc jouer plusieurs rôles essentiels pour permettre une bonne qualité de semis et un bon développement des végétaux (cultures et couverts) en ACS :

→ Les MO ont les capacités à former avec l’argile des complexes organo-minéraux stables qui confèrent au sol des propriétés « plastiques ». Liées à d’autres éléments comme le Calcium (Ca2+), ils forment des structures solides et aérées. Le sol est donc plus poreux (meilleure infiltration de l’eau). Cette amélioration de la structure permet donc de mieux répartir l’eau dans le profil, et surtout de réduire les problèmes d’hydromorphies et de battances en surface. L’implantation des cultures en ACS peut donc être davantage sécurisée surtout dans les sols les plus sensibles (limons battants).

→ Les MO de surface peuvent jouer également un rôle important dans la nutrition « starter » de la plantule : les matières organiques chargées négativement fixent les cations du sol, comme l’Ammonium (NH4+), le Sodium (Na+), Manganèse (Mg2+), le Potassium (K+). Ce potentiel stock (que l’on appelle couramment la CEC dans les analyses de sol (Capacité d’Echange Cationique) est une petite réserve non négligeable pour la plantule. Il est cependant encore difficile de quantifier ces apports et leur disponibilité, ce qui explique le recours complémentaire de fertilisation starter organique ou minérale dans certaines situations.

→ Il est aussi reconnu que les matières organiques du sol exercent une influence positive sur la rétention en eau. C’est un phénomène qui mixe 2 principes :

1) La charge positive de l’eau (côté H+) avec fixation sur la MO chargée négativement
2) Les micropores créés par les microorganismes du sol. Ces micropores sont un lieu privilégié de stockage de l’eau.

L’augmentation de la réserve utile rend les sols riches en MO plus résilient à la sécheresse sans pour autant, évidemment, faire de « miracle » en cas de sécheresse prolongée.

Au-delà des bénéfices agronomiques, accumuler des MO en surface pourrait avoir aussi d’autres bénéfices sur l’environnement :

→ L’amélioration de la structure du sol en surface et sa stabilité vis-à-vis des agressions extérieures permet de réduire les phénomènes de battance, de compaction et de ruissellement, et donc des phénomènes d’érosions.
→ Il est aussi reconnu que les MO, par leurs pouvoirs de rétention, permettrait de réduire le transfert de micropolluants dans les nappes souterraines. Si l’accumulation de MO est associée à une bonne activité biologique de surface, la dégradation des micropolluants n’en serait qu’accentuée pour ainsi garantir une meilleure qualité de l’eau. A noter que cette dégradation est aussi très dépendante des types de sols, des dates d’applications et des types de produits utilisés et des volumes ponctuels épandus. Des projets scientifiques sont en cours pour pouvoir estimer quantitativement l’impact des systèmes de cultures sur le transfert et la dégradation des molécules (projet Bagage / Dispositif La Jaillière d’Arvalis etc)

Les matières organiques : les fonctions des matières organiques liées ou libres

En fonction de leur état de décomposition, les MO agissent sur de nombreuses propriétés du sol (Cf tableau 1 : Fonctions des différents types de matières organiques). L’état « libre » ou « liée » caractérise leur niveau de dégradation et de stabilisation, et ont pour conséquence des fonctions différentes dans le sol :

Tableau 1 : Fonctions des différents types de matières organiques

Certaines analyses permettent d’identifier la part de MO liées et libres (fragmentation de la MO). A titre d’exemple, dans le cadre du projet OSOLEMIEAU, 30 parcelles ACS du Bassin Seine Normandie ont été analysées sur ce volet. Comparés aux références « grandes cultures » du laboratoire, les résultats obtenus montrent un équilibre différent. En règle générale, d’après le laboratoire, le ratio MO libre sur MO liée est très stable de l’ordre de 18% (MO libre) vs 82% (Mo Liée). Or sur les parcelles en ACS analysées, l’équilibre se situe autour de 25% vs 75%, montrant donc que les MO libres (donc plus jeunes) sont proportionnellement plus présentes dans ces systèmes. Cette différence de proportions pourrait s’expliquer par les apports constants de biomasse (couverts, restitution des pailles, matière exogène externe). Ces valeurs donnent une première indication qui demande à être confirmées par d’autres mesures dans d’autres contextes pédoclimatiques et en suivre l’évolution dans le temps. L’idéal reste de garantir un équilibre sur ces 2 volets : l’un pour le volant d’autofertilité, l’autre pour la stabilité du sol et le carbone.


Tableau 2 Répartition entre les MO libres et les MO liées entre les références Celesta lab et Osolemi’eau

Apports de PRO (Produits Résiduaires Organiques) et matières organiques des sols

Les Produits Résiduaires Organiques (PRO) sont constitués de toutes les matières résiduaires organiques pouvant être épandues en agriculture à l'état brut ou traitées (ex : effluents d’élevage, boues de STEP, compost de déchets verts…). Ces produits contiennent des matières organiques plus ou moins dégradées qui agissent directement sur la stabilité des agrégats et qui vont également influencer l’abondance et la diversité des microorganismes du sol, améliorant de ce fait les trois composantes de la fertilité du sol (physique, biologique et chimique).

La diversité des PRO en font des produits aux compositions très différentes qui peuvent être distingués en deux catégories : Les PRO à valeur fertilisante (C/N<8) et ceux à valeur amendante (C/N>8).

PRO à valeur fertilisante (C/N<8)  Produits à minéralisation rapide qui fournissent des éléments minéraux aux plantes et aux micro-organismes du sol et peu d’humus stable.   Effluents d’élevage peu pailleux de type lisier ou encore des produits issus de transformations agro-industrielles peu carbonés

PRO à valeur amendante (C/N>8) Produits qui fournissent des éléments minéraux mais également de l’humus stable grâce à leurs longues chaînes carbonées.  Composts, fumier, bois raméal fragmenté


En plus de la valeur du rapport C/N, l’ISMO (indice de stabilité de la matière organique) estime la stabilité du carbone organique des PRO : plus l’ISMO est élevé, plus le produit permet d’enrichir le sol en humus stable. Avec également le risque d’apporter du carbone très stable qui n’évoluera guère dans le sol pouvant occasionner des blocages. Malheureusement cette valeur est rarement connue ce qui empêche d’avoir une vue correcte du produit apporté.

On voit sur ce graphique que la valeur de l’ISMO est assez variable aussi bien entre les différents produits organiques qu’à l’intérieur d’un même type de produit. La connaissance de sa valeur exacte ne peut donc pas être estimée sans une analyse précise.


3 modèles principaux permettent d’estimer la contribution des PRO à l’enrichissement en humus stable grâce à des bilans humiques. Malgré la difficulté de compréhension des évolutions des PRO dans le sol, ces modèles permettent d’estimer des tendances de stockage ou de déstockage. L’APAD assure régulièrement des formations d’une journée sur le bilan humique permettant ainsi aux agriculteurs de caractériser de façon très concrète leurs pratiques. Les multiples calculs effectués dans le cadre de ces formations montrent que le semis direct seul permet de ne pas déstocker d’humus et que ce sont les couverts et/ou les apports extérieurs de MO qui permettent d’avoir un bilan humique positif. Si vous êtes intéressé par cette formation, n’hésitez pas à vous rapprocher de l’APAD.


Ressources bibliographiques

APAD, 2020 - Les clefs de réussite pour amorcer sa transition en Agriculture de
Conservation des Sols
APAD, 2022 - Rapport du projet OSOLEMIEAU
CA67, 2011 - La fertilité des sols : L’importance de la matière organique, Service Environnement-Innovation
TERR, 2013 - Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sol
Levavasseur, F., Obriot,F., 2021 - Caractéristiques amendantes des PRO et services agronomiques rendus. Journée technique du COMIFER Les Matières organiques dans les sols agricoles, 7 avril 2021.
INRAE, Véolia Environnement Recherche et Innovation – Programme de recherche QualiAgro, https://www6.inrae.fr/qualiagro/

Témoignage de Christian Marin, agriculteur à Mansle (16), en ACS depuis 2003

J’ai commencé à utiliser des déchets verts en 2007.  C’est le syndicat départemental des déchets de Charente (Calitom)) qui m’a contacté pour mettre à disposition une plateforme de réception de déchets verts avant broyage.  Ils voulaient me vendre ce produit mais, après négociation, ce sont eux qui gèrent l’approvisionnement et le broyage ; il me reste à charge l’épandage (épandeur en CUMA et chargeur en propriété) ce qui représente encore un coût non négligeable.  Au début j’avais une partie de la plateforme pour Calitom et une autre partie où les particuliers et les paysagistes pouvaient apporter leurs déchets verts.  J’arrivais alors à 2000 tonnes à gérer par an.  J’ai arrêté la réception des déchets des particuliers et paysagistes assez vite à cause du coût du broyage qui était à ma charge et la mauvaise qualité des produits apportés car les gens n’étaient pas sérieux sur le tri.  
Le produit que j’obtiens est intéressant car c’est un mélange de tonte, de feuilles et de branches : c’est donc équilibré avec des produits efficaces à court terme avec libération rapide de minéraux et d’autres qui agissent à plus long terme avec humification.
Aujourd’hui, j’épands entre 800 et 1000 tonnes par an à raison de 20 tonnes / Ha.  Au début, en particulier dans les sables grossiers à très faible réserve hydrique, j’étais plutôt à 150 tonnes en 3 fois sur 5 ans.  Pour les modalités d’apport, j’ai pris exemple sur le fonctionnement naturel donc le broyat est apporté en fin août début septembre sur les couverts d’été en priorité dans lesquels je charge en légumineuses pour éviter les faims d’azote.  Le produit apporté a un rapport C/N d’environ 25 donc consomme de l’azote pour sa dégradation.  Avec ces modalités d’apport, la culture suivante bénéficie vraiment des minéraux présents dont beaucoup d’oligo-éléments.  Je reste quand même vigilant sur le C/N car il est arrivé une année que le sol soit bloqué quelques temps à cause d’une mobilisation forte de l’azote du sol ce qui a impacté fortement la culture.
Depuis que j’en utilise, j’ai observé une évolution très positive des sols en quelques années avec un potentiel qui est passé de 35 quintaux en blé à 65 – 70 quintaux aujourd’hui dans mes sables.  Avec le projet Dycasol, les mesures de mes taux de MO en surface vont de 2 à 4 en surface dans ces sables et 1.5 à 2.2 en profondeur.  En argilo calcaire superficiel, je suis en moyenne à 6.2 en surface et 4.2 en profondeur.  Avec seulement les couverts végétaux, je ne serai jamais arrivé à ces taux : ce sont bien les déchets verts qui ont permis cette progression. 

En conclusion, si je devais faire des préconisations, je dirais :

1)    Le produit doit être gratuit ainsi que le broyage : il ne doit rester à charge de l’agriculteur que l’épandage ;
2)    Il doit être apporté sur couverts à base de légumineuses pour éviter les faims d’azote ;
3)    La fin d’été et l’automne sont les meilleures périodes d’apport pour éviter les tassements et mobiliser l’azote afin d’éviter les lessivages hivernaux de nitrates ;
4)    Eviter de dépasser 15 à 20 tonnes sauf cas particulier où un apport plus conséquent peut être réalisé

Témoignage de Laurent Terrien, agriculteur à Grosbreuil (85), en ACS depuis 20 ans


Ça fait 10 ans que j’utilise du broyat de déchets verts.  La ressource provient pour moitié des paysagistes (qui paient 5 € du m3) car j’ai une plateforme de collecte de l’entreprise Val Défi et l’autre moitié provient de mes élagages et bois trop petit pour la cheminée.  L’ensemble représente 1200 m3 par an soit 200 tonnes environ.  Le broyage a lieu 2 fois par an.  C’est Val défi qui gère le broyage et, avec ma propre production, ça me revient globalement à 7 € / tonne plus l’épandage à mes frais.

Depuis que j'utilise du broyat, j'observe des "ronds de sorcière" dus aux champignons : est-ce un problème ?  Je ne sais pas !


Même si je suis en production laitière, le fumier ne suffirait pas comme retour de matière organique au sol car j’exporte toute la production pour le cheptel.  Le broyat me sert de litière pour les veaux et les génisses.  C’est un produit vraiment intéressant car je n’ai pas besoin de repailler et l’ambiance est plus saine sans dégagement d’ammoniaque : depuis que j’en utilise, mes animaux n’ont plus de problème de santé comme la diarrhée.
Le mélange broyat fumier est intéressant également pour le sol car c’est un produit bien équilibré avec peu d’odeur au moment de l’épandage ce qui est un plus en ACS où le fumier n’est pas enfoui.  De plus le broyat est bien aéré et fait donc « travailler » le fumier rapidement.
Tout est épandu en automne.  A cette époque, les vers de terre et toute la biodiversité sont très actifs et j’observe un travail de valorisation optimum de cette matière organique.  Quand la portance des sols le permet, je peux aussi épandre un peu en hiver.
Dans certaines situations, je peux aussi épandre du broyat pur.  C’est le cas des zones hydromorphes.  Ce sont des endroits où je ne pouvais pas cultiver de céréales à cause de l’humidité.  Dans ces zones, j’apporte 20 à 30 tonnes de broyat (soit 2 à 3 cm d’épaisseur) et je vois une évolution très rapide de mes sols dans l’année qui suit.  C’est beaucoup plus rapide qu’avec du fumier pailleux.  Le sol s’en trouve transformé avec une bonne aération ce qui permet é également de faire disparaitre les paturins.  Pour éviter les faims d’azote, j’apporte un peu plus d’azote dans ces zones.  J’utilise également du broyat dans les parcelles que je reprends et que je passe directement en ACS : le broyat permet une évolution très rapide de la biologie des sols.
Quant au problème de tri et, en particulier, les risques de métaux, je suis très exigeant avec les apports.  De plus, je ne mets jamais de broyat sur une parcelle qui sera récolté (méteil par exemple) au printemps suivant.  De toute façon, j’ai pris l’habitude faucher haut (8 cm) en andains sans regroupement pour éviter de faire monter dans l’ensileuse des corps étrangers.  Et je joue encore plus la sécurité en mettant un aimant à toutes les vaches.  Grâce à ça, je n’ai jamais eu de souci sur mes animaux

Témoignage de Tony Cogné, agriculteur au Puiset Doré (49), en ACS depuis 10 ans.

J’achète du broyat de déchets verts pour 3 raisons principales :

-    Assurer une partie de ma fumure de fond ;
-    Augmenter rapidement mes taux de matières organiques pour faciliter le semis et favoriser le fonctionnement biologique de mon sol ;
-    Favoriser le stockage de carbone dans les sols.


Le produit que j’achète est normé avec un C/N de 10 à 12 donc bien équilibré, avec un pH de 8 car il y a ajout de coquille d’œufs. L’usine est à côté de chez moi ce qui facilite le transport et le rend moins onéreux.  J’en achète 7 à 800 tonnes à 7.5 € par tonne.
Je suis éleveur laitier mais je n’ai pas assez de fumier et lisier pour couvrir mes besoins, en particulier pour les couverts d’été.  C’est à cette époque que l’épandage est le plus facile car je ne marque pas et ça aide au développement des couverts.  Il est épandu à 10 – 15 tonnes par hectare.  Comme c’est un produit très fin, ce serait mieux épandu avec une table d’épandage car là, avec un épandeur classique, la répartition est un peu trop aléatoire malgré l’utilisation du GPS. Un voisin le mélange au fumier pour faciliter la répartition : c’est une piste à étudier. 
Je n’ai pas beaucoup de recul sur l’impact réel de ce produit sur le sol mais j’observe sûrement moins de limaces là où j’en épand : c’est une observation à confirmer et à comprendre !  J’ai aussi des problèmes avec le développement du mouron derrière maïs ensilage : peut-être que ce produit, en mobilisant de l’azote, me permettrait de le limiter

Fertilité des sols en SCV : dix ans de recul et des résultats probants en Provence.
Par Mathieu Marguerie – Ingénieur Régional PACA – Animateur réseau SCV Arvalis

Depuis 2013, un essai collaboratif entre Arvalis et un agriculteur est mené à Oraison, au nord d’Aix-en-Provence. Près de 10 ans après son lancement, retour sur les bénéfices observés en termes de fertilité des sols.

Au-delà des principes théoriques bien connus de l’ACS, l’enjeu est d’adapter les itinéraires techniques aux conditions pédoclimatiques de chaque région. C’est dans cet objectif, que depuis 2013, Arvalis conduit un essai à Oraison en coopération avec Daniel Brémond, agriculteur en conservation des sols depuis 15 ans. Le pilotage conjoint de l’essai par un agriculteur et un institut technique permet d’identifier et de caractériser avec réactivité des solutions en conditions réelles rencontrées par les agriculteurs. L’essai, mené dans une parcelle argilo-calcaire peu caillouteuse en ACS depuis 2010, se compose de 30 bandes de 6m de large et 150 m de long dans lesquelles se succèdent différentes cultures et couverts végétaux. Parmi ces bandes, dix-neuf sont conduites sans irrigation, avec une dominance de cultures semées à l’automne ou en fin d’hiver (blé dur, pois fourrager, pois chiche, féverole, colza en fonction de la pluviométrie de fin d’été). Dans les bandes irriguées, le maïs reste la culture dominante. La couverture permanente du sol est assurée par une cohabitation de couverts annuels (féverole, vesce, seigle, avoine, radis chinois…) implantés en fin d’été et de couverts pluriannuels (essentiellement sainfoin et luzerne). Ces derniers sont implantés soit pour deux ans en tête de rotation, soit sous couvert de céréales ou de légumineuses. Ils ont l’avantage de sécuriser la couverture des sols pour plusieurs années ou à des périodes où l’implantation des couverts annuels peut être délicate pour des raisons climatiques. Ainsi, même sans irrigation, une couverture quasi permanente des sols a pu être assurée depuis 2013, excepté en situation de très forte sécheresse (six mois sans pluie de juin à novembre 2017). Pendant les intercultures, les couverts vivants sont fréquemment complétés par des couverts annuels à base de graminées. Ils ont ainsi l’avantage d’affiner superficiellement la structure du sol et d’apporter un surplus de carbone par rapport au sainfoin et à la luzerne. La présence de couverts vivants en cohabitation avec la culture ne s’est pas révélée pénalisante du rendement, si ces derniers étaient régulés suffisamment efficacement avant le semis des céréales et dès le début de leur montaison.



Figure 1: blé dans un sainfoin vivant (2016)

Des rendements préservés et une fertilité du sol améliorée

Outre la mise au point des itinéraires techniques, l’essai avait également pour but de caractériser les services agronomiques apportés par l’ACS, notamment au niveau du fonctionnement du sol. Pour cela, des analyses détaillées de l’évolution de la matière organique ont été réalisées en 2015 et 2020 avec le laboratoire Celestalab. Elles montrent une augmentation d’en moyenne 0.4 points en cinq ans sur les vingt premiers cm du sol, avec de fortes différences selon les rotations testées. En moyenne, le taux de matière organique est passé de 2.1 à 2.8 % dans la partie sans irrigation (+ 32%) et de 2.4 à 2.6% dans la partie avec irrigation (+10%), où l’on part de plus haut. Certaines modalités de l’essai dépassent même les 3% de matière organique, là où la moyenne régionale se situe plutôt autour de 1.5 à 2%. Ces résultats permettent d’observer un sol beaucoup mieux structuré, perméable, souple alors qu’initialement battant et « difficile ». Dans le détail, dans les rotations sans irrigation, les différences de progression du taux de matière organique sont positivement corrélées au rendement des céréales à paille et à la réussite des couverts, là où la fréquence de retour de maïs semble avoir un impact majeur avec irrigation. On constate donc que le « retard » de matière organique observé en 2015 dans les modalités sans irrigation par rapport à celles arrosées, s’est estompé, alors même qu’aucun maïs n’est venu y enrichir le stock de carbone. Parallèlement, l’irrigation a d’avantage entrainé de minéralisation. De la même manière, la biomasse microbienne a fortement évolué, avec une augmentation de 24% en cinq ans sur l’ensemble de l’essai. On observe dans l’essai des valeurs jusqu’à 787 mgC/kg, soit bien au-dessus de 450, jusqu’alors seuil référencé comme « supérieur » dans ce type de sol par le laboratoire. Ces résultats obligent à revoir la stratégie de fertilisation en délaissant le fractionnement pour des apports importants en sortie d’hiver afin d’éviter la faim d’azote due à la consommation d’azote par la biomasse microbienne. Dans le même temps, la fourniture annuelle d’azote du sol a progressé de 75%, passant de 52 à 95 unités, confirmant ainsi la contribution « naturelle » du système à la construction d’une fertilité valorisable sur les cultures par l’agriculteur. Ces résultats laissent entrevoir de possibles baisses des niveaux de fertilisation azotée, tout en restant vigilent à ne pas compromettre les performances économiques et productives du système.


Figure 2: évolution des taux de matières organiques sur les 20 premiers cm du sol entre 2015 et 2020 (Analyse: Celestalab)

Figure 3 : évolution de la biomasse microbienne entre 2015 et 2020 (Analyse: Celestalab)

Du carbone en profondeur ?

Afin de quantifier le potentiel de stockage de carbone permis par le système, des profils de sols ont été réalisés en 2020 dans deux des bandes de l’essai. Ils ont mis en évidence, une forte stratification du carbone, comme souvent dans les systèmes en ACS qui ont tendance à le concentrer en superficie. C’est en particulier vrai pour les rotations avec irrigation du fait des importantes restitutions de biomasse du maïs. On constate par ailleurs des teneurs en carbone organique plus importantes en profondeur pour les rotations sans irrigation. La présence plus importante de couverts permanents à enracinement profond comparativement à l’irrigué y est peut-être pour quelque chose. Le stockage de carbone en profondeur est probablement un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique car potentiellement plus stable et complémentaire de la matière organique en superficie, plus facilement dégradable et donc fournissant d’avantage des nutriments aux cultures en place. Ces investigations restent bien sûr à poursuivre dans cet essai, et au-delà, pour mieux comprendre la contribution de l’ACS au stockage durable du carbone dans les sols.


Figure 4 : teneur en Carbone organique entre 0 et 140 cm en 2020


Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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comite.technique.apad@gmail.com