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Publié le 19/10/2022Télécharger la version pdf



Introduire le lupin dans sa rotation

Allonger sa rotation en système ACS avec le lupin, est-ce possible ?

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Lupin Blanc d'Hiver en fleur


L’un des 3 piliers fondamentaux de l’ACS repose sur la diversification des cultures et l’allongement des rotations. Cependant, l’intégration de nouvelles cultures, non connues dans un secteur ou non maitrisées techniquement, peut être compliquée. Dans cet instant technique, nous parlerons d’une culture peu répandue, le lupin, et de son intégration dans des systèmes ACS.



Le lupin est un protéagineux qui comporte des sous espèces variées : Lupin bleu (Allemagne), lupin jaune (Australie et Amérique du Sud) et le lupin blanc de printemps (Europe) et d’hiver (France). Dans cet article, nous parlerons du lupin blanc d’hiver.
En France, on cultive cette légumineuse sur 5 à 6 000 ha par an, principalement dans l’ouest. Les bassins de production se situent dans le Centre-ouest (Maine et Loire, Vienne, Deux Sèvres) et le Sud-Ouest (Tarn). Il se fait quelques hectares en Haute-Normandie (Seine Maritime et Calvados), mais cela reste anecdotique. Le Lupin est une culture plutôt exigeante en termes de sol : elle se plait dans les sols plutôt acides, sans calcaire actif, et non-hydromorphe. C’est une culture à cycle long, semée en septembre et récoltée en août. 

En tant que légumineuse, cette plante ne nécessite pas de fertilisation azotée mais doit être inoculée. Son cycle végétatif étant plutôt lent, elle est peu couvrante dans l’hiver et au printemps, et s’éclaircit en fin de cycle suite à la dessiccation. Le rendement moyen se situe entre 25 et 35 qx / ha. 

L’intérêt majeur de cette culture est la composition de sa graine : le lupin contient 34% à 40% de protéine, c’est-à-dire autant que le soja.


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Figure 1 : Composition d'une graine de Lupin (Source : Terres Inovia)

Intérêt supplémentaire, cette source de protéine peut être utilisée sans transformation : pour l’alimentation animale, pas besoin de toaster, ils sont directement intégrables à la ration. 
Cette culture est conseillée uniquement sur labour, ou, depuis la mise en place de l’observatoire Lupin de Terres Inovia, en TCS profonds, pour éviter les problèmes de mouches du semis, principal ravageur du lupin. 


Témoignage de Manuel Dona, agriculteur à Florentin (Tarn), en ACS depuis 5 ans

La culture du lupin blanc d’hiver s’est développée dans le secteur grâce à la mise en place d’une valorisation en filière animale.
Le lupin est une culture très exigeante pour le type de sol : il n’apprécie ni le calcaire ni trop d’argile donc je ne le cultive pas dans les argilo-calcaire mais uniquement dans les boulbènes ou les limons non hydromorphes.  Il ne supporte pas du tout d’excès d’eau qui le fait dépérir.
J’ai déjà essayé en semis direct mais je n’ai jamais obtenu de bons résultats pour 2 raisons : la mouche de semis me fait de gros dégâts et le pivot a du mal à s’installer.  Du coup, je préfère passer un décompacteur et semer en TCS.  
Je sème en général derrière ray-grass d’un an et avant un blé car c’est un très bon précédent.  J’inocule la semence s’il n’y a pas eu de lupin depuis plus de 5 ans.  Le semis a lieu début octobre à la densité de 30 grains / m² soit 100 kg / ha environ.  Si besoin je passe un désherbant total avant semis.  Ensuite, je passe Centium (0.25 l) + Prowl (2.5 l).  Eventuellement un Kerb en hiver s’il y a des graminées problématiques.
Le lupin se développe lentement d’où la nécessité d’avoir un sol sans adventice et semer tôt pour un développement suffisant avant l’hiver.
Contre les maladies fongiques (classiques des légumineuses), j’utilise en préventif de la vitamine C à 50 g / Ha et de la pulvérisation d’un mélange d’oligo-éléments (Mn, B, S, Mg, Cu, Mo, Se). Je ne traite pas contre les insectes ni contre les limaces.
Le lupin fait 3 étages de fleurs et, pour obtenir un rendement correct, il faut que les 3 étages remplissent bien.  Il ne faut pas trop tarder à la récolte sous peine d’un égrainage important : si le temps est chaud et sec, il vaut mieux moissonner de bonne heure le matin.  La moisson se fait juste après les blés soit vers la mi-juillet.
Mes rendements sont très aléatoires : de 15 à 25 quintaux voire changement de culture si l’hiver est trop humide.  Je garde cette culture car, sur la rotation, elle est intéressante, en particulier avant blé.

Lupin Bland en Juin, remplissage des gousses


Malgré ces difficultés d’implantation, quelques agriculteurs du réseau APAD tentent de mettre en place cette culture en limitant au maximum le travail du sol. 

En partant d’une problématique de désherbage, un groupe d’agriculteurs de l’APAD Perche s’est penché sur la culture du lupin. En effet, dans les sols de limons froids, l’implantation de cultures de printemps en SD est problématique.  Du coup, les rotations sont courtes composées très majoritairement de cultures d’hiver ce qui favorise les résistances en graminées d’automne : ray-grass / vulpins.

Ces agriculteurs ont donc réfléchi à une culture supplémentaire à intégrer à leurs rotations, adaptée à leurs sols, et qui pourrait avoir un intérêt sur le désherbage. 
En mai 2021, le travail sur le lupin a alors commencé : Comment l’implanter, où trouver la semence, quels itinéraires adopter… Le groupe a consulté plusieurs intervenants sur la culture : responsables de filière, techniciens phytos, agriculteurs… En septembre 2021, 5 parcelles ont été ensemencées. Pour avoir un suivi pertinent de la culture l’APAD Perche à mis en place un travail commun avec Agathe Penant, référente Lupin chez Terres Inovia. 

Après une première campagne d’essais, le groupe a pu tirer les premières conclusions pour réussir cette culture en Agriculture de Conservation des Sols : 

  • Semer tôt, dans la dernière quinzaine de septembre.
  • Semer dru, pour limiter l’impact des pertes de pieds par les ravageurs (mouches du semis, limaces, taupins…). En conventionnel, la dose préconisée est de 30g/m2. Pour pallier aux pertes induites par les ravageurs du sols présents en ACS, 40g/m2 semblent pertinents.
  • Protéger la culture contre les limaces et les campagnols, qui peuvent fortement impacter la culture.
  • Bien choisir sa parcelle, pour éviter la perte du semis à cause d’une hydromorphie ou d’un sol basique.
  • Désherber la culture dès la sortie de l’hiver, avec du CENT7, pour éviter un enherbement important de la parcelle. Les adventices doivent être détruites avant la reprise de végétation, et la dernière application d’herbicide doit se faire avant le début de la floraison pour éviter tout impact sur le rendement. 


Suite à la journée de bilan en septembre avec l’intervention d’Agathe PENANT, le groupe a coconstruit l’itinéraire technique « Lupin spécial ACS » à suivre pour l’année à venir. En suivant cet itinéraire, Grégory, agriculteur membre du groupe a déjà une levée plus encourageante que l’année dernière. 



Témoignage de Grégory VALLEE, Polyculteur-éleveur en Eure-et-Loir

Les réflexions autour de la culture du lupin ont commencé avec une adhérente de l’APAD Perche proche de chez moi, en se questionnant sur quelle culture intégrer à nos rotations pour les rallonger. Nous nous sommes axés sur une légumineuse, pour le côté « bas intrants ». Restait à choisir laquelle : j’utilise beaucoup de féverole en couvert, ce qui augmente le risque sanitaire en culture. Le pois ne me plait pas trop : c’est une plante peu vigoureuse, avec un faible système racinaire. Nous sommes donc partis sur le lupin. 
En tant qu’éleveur, j’y vois un autre avantage, c’est le côté protéine. J’aimerais l’intégrer comme complément azoté dans ma ration à la place des tourteaux de soja et de colza. Le lupin est aussi riche que le soja, et il peut s’intégrer facilement à la ration, juste en broyant les grains.
Pour mes vaches, j’aurais besoin d’environ 2 tonnes par an de lupin pour remplacer les tourteaux. Avec les taurillons, ça peut monter à 7 tonnes. Avec un rendement à 22qx/ha comme cette année, il me suffirait d’un peu plus de 3ha pour devenir autonome. 
Pour le premier essai de lupin en semis direct, en 2021/2022, j’ai semé un lupin blanc d’hiver le 01/10, en direct au semoir à dent dans un couvert avoine/lin, sur un chaume de blé, à 40grains/m2. Il était inoculé et traité au Wakil.  Il y a eu 3 désherbages : un Challenge + Prowl + Centium après le semis, un Kerb en janvier et un antidicot de rattrapage sortie hiver, à la mi-mars. Ce dernier a été trop tardif et a sans doute impacté le lupin. 
A l’arrivé, la culture n’était pas très propre à cause des désherbages trop tardifs, et des dégâts de limaces et de mulots. Avec 2,5 étages de gousses par plant et 17 plants/m2, j’ai eu un rendement de 22qx/ha. 


Lupin d'hier à 2 feuilles dans un résidu de couvert végétal


Pour cette année, nous avons essayé d’améliorer la technique lors de la réunion de bilan du groupe. J’ai donc semé plus tôt, le 20/09, à 47grains/m2, inoculé mais sans traitement de semence. Je l’ai semé en direct, dans un couvert multi-espèces de 1.7 tonnes de MS/ha (d’après la méthode MERCI), avec 5kg/ha d’anti-limace. Le lupin est associé cette année à 25grains/m2 de triticale, pour couvrir plus rapidement le sol à l’hiver, et limiter la concurrence des adventices. Pour les mulots, j’ai installé 3 perchoirs à rapaces dans la parcelle, pour faciliter la prédation. 

Pour le moment, la levée a été homogène, avec 45 plants/m2, dont 5 attaqués (ou suspectés) par la mouche du semis.Pour le moment, la levée a été homogène, avec 45 plants/m2, dont 5 attaqués (ou suspectés) par la mouche du semis.

Je pense que semer le lupin dans un couvert vivant permet de limiter la prédation des mouches, et améliore l’enracinement de la culture. 
Coté désherbage, je prévois de faire le Kerb plus tôt, début décembre, et de faire les dicots de printemps à l’aveugle, dès février avec du Cent7.Pour le moment, la levée a été homogène, avec 45 plants/m2, dont 5 attaqués (ou suspectés) par la mouche du semis. Je pense que semer le lupin dans un couvert vivant permet de limiter la prédation des mouches, et améliore l’enracinement de la culture. 
Coté désherbage, je prévois de faire le Kerb plus tôt, début décembre, et de faire les dicots de printemps à l’aveugle, dès février avec du Cent7.



Témoignage d’Agathe PENANT, Référent Protéagineux Zone Centre & Ouest


J’ai commencé à travailler chez Terres Inovia en 2015, sur les protéagineux dans le secteur Nord-Ouest : Pois, féverole, lupin, ainsi qu’un peu de lentilles et pois chiches. Etant donné que la majorité des surfaces se trouve sur mon secteur, je suis vite devenue la référente lupin. Suite au retrait du Pyristar en 2017, le suivi de 50 parcelles a été initié, en partenariat avec Terrena, pour évaluer l’impact réel des mouches du semis en fonction du travail du sol. Depuis, je suis une dizaine de parcelles par an afin d’acquérir des références sur cette culture encore peu développée, en plus des travaux menés par l’institut : essais variétaux, désherbages mixtes et chimiques, fertilisation, qualité des graines…

Après une première réunion d’échange avec l’APAD Perche, je voyais peu de chance de réussite dans le projet : réussir une culture de lupin sans travail du sol, alors que tous préconisent le labour, compliqué ! J’ai donc suivi ces parcelles pour le challenge : est-il possible de réussir la culture dans ces conditions ? Au cours de cette première année (campagne 2021/2022), j’ai pu accompagner le groupe lors de visites de parcelles aux stades critiques de la culture : la levée, pour constater les potentiels degâts de mouches, puis une visite sortie hiver, une autre à floraison et une dernière avant la récolte. Avec 50% de réussite, ces essais sont plutôt encourageants. Nous avons donc fait un bilan avec l’APAD Perche avant les semis 2022, et nous repartons pour un suivi en 2022/2023 !



Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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