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Publié le 21/12/2022 Télécharger la version pdf



L’observation est la base d’un système ACS performant

Damien Boudrot, en ACS depuis 15 ans en moyenne, témoigne de la nécessité d’une observation sérieuse de ses cultures et de ses parcelles.


L’ACS est un système où les agriculteurs veulent favoriser les équilibres naturels tout en gardant un bon potentiel de production.  C’est un système innovant où il est nécessaire d’être rigoureux pour obtenir des résultats très satisfaisants.  Damien nous explique dans cet Instant Technique comment ses sols très fragiles ont des performances élevées grâce l’ACS sans aucun travail du sol.  

Description de la ferme


Je suis seul sur ma ferme de 205 Ha à Villy le Moutier en Côte d’Or. Mes parcelles sont assez bien regroupées puisqu’elles sont toutes dans un rayon de 5 km.
Mes sols sont hétérogènes comme le montre le graphique avec des parcelles pouvant avoir les 4 types de sols ! Cependant, l’ACS permet de gommer de plus en plus ces différences en particulier sur les cultures que je peux implanter : je ne fais plus de différence aujourd’hui.

Mon assolement est représenté dans le graphique ci-dessous :


Je suis en moyenne à environ 50 % de cultures d’hiver et 50 % de cultures de printemps. Je n’ai pas de rotation fixe car tout dépend du salissement, en particulier en ray-grass.


Tournesol en 2022

Cette problématique est sérieuse depuis 3 ans avec des résistances aux Fop, Dim et Sulfo. Les parcelles sans problématique peuvent connaître une succession Blé – orge d’hiver – moutarde – blé donc 4 cultures d’hiver de suite. Les autres peuvent être implantées avec davantage de cultures de printemps pour bien baisser la pression graminées. Ce sont les seules adventices qui sont problématiques et qu’il faut gérer avec la rotation.
L’ACS me permet aujourd’hui d’avoir des cultures de printemps même sans irrigation ce qui est une chance pour faciliter la gestion des adventices. La chimie reste nécessaire mais ne peut plus tout régler.

Les semoirs


Tournesol en 2022

J’ai 3 semoirs SD sur la ferme :
Un semoir à disque 750 A de John Deere, Un semoir à dents T-sem Contour de Techmagri et un monograine Monochox de Monosem. Tous mes semoirs ont une largeur de 4 mètres. Je fais aussi beaucoup de semis à la volée pour le blé et l’orge d’hiver. L’une des particularités de mes semoirs est que je peux gérer la pression au sol depuis la cabine du tracteur : c’est un véritable confort car, comme mes types de sols sont hétérogènes même en intra parcellaire, il faut que je puisse gérer la pression suivant les secteurs. Maintenant que je connais très bien mes parcelles, je sais où mettre plus ou moins de pression. C’est un peu le système Précision Planting manuel !

Au début je n’avais qu’un semoir à dent mais je m’apercevais que lorsqu’il pleuvait après semis et avant la germination, la perte de grains par pourrissement était importante : en fait, la seule zone travaillée était la ligne de semis et elle faisait office de drain donc l’eau s’y accumulait. Il m’a fallu beaucoup de réflexion et d’observation pour me rendre compte de ce phénomène et le corriger par la suite. J’utilise toujours le semoir à dent mais la dent semeuse ne fait qu’effleurer le sol ce qui permet de positionner la graine sous la paille sans l’enterrer (sauf pour les couverts où là, les graines sont bien en terre) ; les résultats sont très satisfaisants.

Parcelle de soja

Focus sur le semis à la volée

J’ai commencé le semis à la volée du blé suite à ma participation à une conférence de Lucien Séguy, organisée le 14 septembre 2013 par Serge Augier à Besançon. Le printemps 2013 avait été très humide avec un semis de soja fin mai/début juin. La récolte du soja et par conséquent les semis de blés s’annonçaient donc très tardifs. Pour respecter les dates optimales, j’ai donc semé à la volée dans le soja quand il commençait tout juste à perdre ses feuilles afin que les feuilles suivantes recouvrent les graines. Pratique mise en œuvre par L. Seguy au Québec pour installer des blés d’hiver. Un phénomène de condensation se passe sous les feuilles ce qui permet la germination même sans pluie !  Depuis cet essai qui fut une réussite, j’ai pu tester le semis à la volée après soja ou maïs récolté avec les mêmes réussites : ces 2 cultures n’ont pas d’allélopathie et les graines tombées sur les résidus de culture arrivent à germer et à trouver la terre, aidées en cela par l’activité biologique et les vers de terre qui bougent les résidus.  Les résultats sont assez impressionnants d’autant plus qu’avec les automnes chauds depuis plusieurs années, les graines germent très vite et échappent ainsi en bonne partie aux limaces.  Mon itinéraire technique est peu modifié : uniquement une densité de semis à 350 grains au m² dans le soja et 400 grains dans le maïs contre 300 grains avec un semoir.  Je suis aussi plus vigilant sur les pucerons d’automne car je sème assez tôt.  Avec cette technique, je n’ai aucun problème de piétin verse car le plateau de tallage est en surface.  Par contre, je ne sème pas à la volée en paille sur paille ni derrière colza : les résidus empêchent une bonne germination (allélopathie ?).  En bilan, pour moi, le semis à la volée est vraiment une technique qui fonctionne bien et qui me permet d’être serein pour les semis d’automne car j’ai toujours ce plan B si je ne peux pas semer au semoir. 


Mon passage en ACS

Je me suis installé en 2007 mais dès la fin des années 90, j’ai commencé à inciter mon père à investir dans un semoir Rapid de Vaderstad pour semer en direct les cultures d’hiver. Ce qui avait déclenché cette réflexion est, là encore, de l’observation : aux générations précédentes, toutes les parcelles étaient en pré sauf les limons profonds sains. Quand les animaux sont partis de la ferme, il a fallu cultiver toutes les parcelles et je voyais bien que le sol évoluait mal alors que, sur la banquette, il était plus sombre et plus grumeleux avec de nombreux organismes vivants. La rencontre Claude Bourguignon m’a conforté dans cette hypothèse que c’était le travail du sol qui fragilisait mes sols car on enlevait la protection de surface que représentent les résidus végétaux.

Comme mon père et moi voyions que l’on réussissait les cultures d’hiver, nous avons poursuivi dans cette voie. Cependant, une adventice est apparue que nous n’avions jamais vu dans le secteur : la vulpie. Il a fallu du temps pour identifier cette adventice et la littérature m’a appris qu’on la trouve dans les sols acides, riches en matière organique et asphyxiés. Une analyse de sol m’a confirmé que les Ph étaient acides et j’ai commencé à chauler les parcelles pour remonter les pH. Observations et rencontres se reproduisent et, cette fois, c’est Serge Augier qui confirme mon intuition bien plus tard lors d’une rencontre en 2010 : l’acidité du sol est un facteur très négatif pour la réussite de l’ACS.


Parcelle de maïs

En parallèle de ces réflexions, et alors que j’étais toujours à l’école, j’ai proposé à mon père et mon voisin d’investir dans un C-3000-T de chez Sulky puis un premier Monosem pour semer en direct les cultures de printemps. On voyait que la réussite serait plus compliquée et j’ai testé, au début, sur 2 parcelles. Effectivement, ce fut compliqué mais mes observations et les discussions avec d’autres personnes m’ont permis d’avancer et mes sols se sont améliorés régulièrement. J’ai également diminué la sole de tournesol pour le remplacer par du soja, plus facile à réussir car on le sème plus tardivement dans des sols mieux ressuyés et plus réchauffés.

Pour le tournesol, j’étais obligé de gratouiller la surface et, dans ce cas, mes sols se reprenaient en masse et je perdais une bonne partie de ce que j’avais gagné par le SD. 3 à 5 cm de grattouillage impactent vraiment mes sols fragiles : on a l’impression de faire du bon travail pour le semis mais on le paie l’année suivante : il n’y a que le semis direct strict qui permet d’améliorer durablement les sols ; j’en suis convaincu et mon expérience est clairement là pour le prouver.

J’ai eu alors tous les éléments pour que mes sols évoluent favorablement et que mes rendements augmentent de façon régulière : SD pur, toute la MO laissée au sol, des pH remontés, des semis réussis, les intérêts environnementaux de l’ACS ont explosé. Mes taux de matière organique ont augmenté d’environ 1 point et ça change tout dans les sols limoneux battant hydromorphes car la battance a disparu et ils sont moins sensibles à l'hydromorphie. En argile humifère, les taux n’ont pas forcément monté beaucoup mais, maintenant, ma MO est labile et mes sols fonctionnent bien mieux.

Focus sur le pH et amendement calcique

Je mesure régulièrement le pH du lit de semence grâce à un pH mètre portatif.  C’est à cet endroit que le pH est vraiment important pour optimiser la levée et favoriser la structure du sol.  La surface s’acidifie par les apports d’engrais minéraux principalement mais aussi l’activité biologique.  Dans les analyses de sol habituelles, on prend souvent 10 cm de sol ce qui empêche de bien connaître le pH du lit de semence ; c’est pour ça que le pH-mètre portatif est indispensable.
Initialement, j’avais un pH de 5.5 : je n’ai pas hésité à apporter 5 tonnes de carbonate de calcium par hectare pour redresser rapidement ce pH.  Depuis, j’apporte en moyenne 1 tonne de carbonate tous les 3 ans.  Evidemment je ne l’enfouie pas, les micro-organismes et le climat faisant le travail.
Je gère la quantité à apporter en fonction de 3 paramètres : le pH bien sûr mais aussi la quantité de calcaire actif (effet tampon de cette molécule pour éviter l’acidification de surface) et le rapport Ca / Mg.

La fertilisation

Pour l’azote, je n’utilise que de l’urée : d’après la bibliographie, l’urée est moins impactante pour la vie du sol et le Rédox. Et, en plus, le prix à l’unité est moins élevé que l’ammonitrate. Sur blé, je fractionne en 2 ou 3 fois : 80 unités au tallage, 100 unités au stade épi 1 cm puis, éventuellement, un 3ème apport à DFE si le potentiel de rendement est là. Fractionner me permet aussi de faciliter la logistique en fertilisant avec un épandeur, un groupe de parcelles sans avoir à y revenir). Pour le maïs, mes apports azotés sont précoces pour que le maïs en ait à sa disposition dès qu’il en a besoin.
D’après mes observations, je suis quasiment sûr d’avoir très peu de perte par volatilisation de l’urée. En effet, le mulch de surface, grâce à la concentration en matière organique et une grande porosité, permet au sol de garder une certaine fraîcheur et donc de dissoudre l’engrais. Ce qui me permet de dire cela, c’est que, lorsque les rendements sont moindres qu’espérés, mes couverts sont bien plus beaux là où il y a eu de l’urée que là où il y en a moins eu : c’est bien qu’il doit en rester dans le sol.


Parcelle de tournesol

Quant à la fertilisation des autres éléments, je veille à compenser les exportations par les graines. Je vois bien que mes sols qui fonctionnent de mieux en mieux alimentent correctement mes plantes qui ne montrent jamais de signes de carences. Par contre, je ne veux pas que mes taux baissent et qu’un jour, j’observe des carences car on met toujours beaucoup de temps à remonter les taux des éléments minéraux.



Les sujets de réflexions

La problématique du ray-grass est un challenge à lever. Il est probable que l’azote minéral apporté joue un rôle dans sa recrudescence. Entre apporter suffisamment d’azote pour nourrir la plante (ou décomposer la paille !) et ne pas sur-fertiliser pour éviter de nourrir les ray-grass, il y a un vrai travail de recherche à mener. Je me penche sérieusement sur cette question !
Autrement, les taupins sont aussi une source de réflexion : leur cycle de développement s’accélère avec les années sèches et chaudes que l'on a connues ces dernières années et ils peuvent faire de nombreux dégâts. Je protège donc les semences pour les cultures d’automne et de printemps sauf le soja. Je m’aperçois cependant que le blé et l’orge semés à la volée ne sont pas attaqués : comme les graines sont en surface, les taupins ne l’attaquent pas. Là aussi c’est un sujet de réflexion même si je ne suis pas prêt à semer du maïs à la volée !

Conclusion

Comme je l’ai dit, la base de la bonne évolution de mes sols c’est le semis direct sans aucun travail du sol. Le moindre travail du sol a des effets négatifs et empêche le sol d’évoluer correctement. C’est vrai qu’on peut avoir l’impression que c’est plus complexe mais je reste persuadé que ce n’est pas le cas : c’est l’observation et la rigueur qui sont les principaux critères de réussites : l’échange entre agriculteurs est vraiment un plus dans ce cas. Mais bien sûr, pour écouter les remarques des collègues, il faut accepter la critique et rester humble face à la mise en pratique de notre système ACS


Le comité technique de l’APAD vous souhaite de belles fêtes de fin d’année !

Nous remercions tous les agriculteurs qui ont acceptés de témoigner au cours de cette année 2022 : ce sont plus de 30 témoins qui ont accepté de prendre du temps pour transmettre leur expérience : c’est la véritable richesse des Instants techniques !

Pour 2023, de nombreux projets vont se réaliser avec des nouveautés pour toujours mieux répondre aux attentes techniques des adhérents :

  • Journée technique nationale sur la fertilisation en système ACS : le 24 janvier à Nouan le Fuzelier et le 17 février vers Montauban.
  • Un Wiki ACS « Au Cœur des Solutions » permettra de recenser l’état des connaissances techniques en ACS avec de bonnes bases agronomiques avec l’appui de nombreux experts
  • Un système de coaching va se mettre en place dans quelques régions test avant d’être déployé à plus grande échelle en fonction des résultats.​​​​​​​



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Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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comite.technique.apad@gmail.com